Vivre est un poème

Thierry Renard

« Sans savoir pourquoi
j’aime ce monde
où nous venons pour mourir »
Natsume SOSEKI



La neige tombe épaisse des nuées noires
C’est un jour de novembre un temps de solitude
Neige qui tombe sur la rue
Toute notre vie est un désastre
Et nous avons au travers du corps
Un grand miroir où le monde se reflète
Comme si nous n’étions plus
Comme s’il fallait se souvenir
De tout ce qui a été si longtemps oublié
Les yeux rencontrés au coin d’un bazar
À quoi rêvaient-ils ces grands yeux bizarres
Et tu aimais la poésie Louise et tu aimais Victor Hugo
Il te le rendait bien et avec toi partageait
L’amour du prochain le sens de l’engagement
Et tu aimais la poésie Louise ô oui tu l’aimais
Et moi j’aime assez tes vers de mirliton ton style rococo
On dira plutôt poème grand siècle au rythme éloquent
On dira surtout en te chantant
« Silence ! entendez-vous dans les gouffres profonds
Avec leur voix d’airain, sonner les noirs clairons ? »

Tu aimais la poésie et surtout tu aimais Victor Hugo
Qui un jour de décembre 1871 écrivit
Pour toi seule son beau poème Viro Major
« Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres… »
Sans notre sixième sens et sans tout notre instinct
La souffrance qui en nous fait éclore ses fleurs
Cette souffrance ressemble à la femme que tu es
Qui trouve dans la dérive de la poésie vers la prose
Son mal plutôt adéquat et son mâle très absolu
Les yeux rencontrés au coin d’un bazar…
La complexité de l’instant restera intacte
Pourtant coincée entre des heures sans portée
L’ennui n’est plus notre amour
Et il faut bien être absolument moderne
À l’école des Robinson où tout n’est pas si rose
Dorénavant plus aucun rayonnement mais
À quoi rêvaient-ils ces grands yeux bizarres

Pas de panique Louise vivre est un poème
Après le temps des cerises vient le temps des noyaux
Et ton monologue fin de siècle résolument se retourne
Vers un théâtre des exploités
Vers les mots LIBERTE ÉGALITE FRATERNITE
Toi au cœur des conflits des luttes des batailles
AU CŒUR DES CHOCS LES PLUS QUOTIDIENS
Toi dont le prénom porte tous les surnoms de la vie
Louise Lune froide Visage pâle Figure noire Vierge rouge
Tu sais Louise ô ma Louise
J’aimais déjà les poètes et la poésie
Lorsque j’étais encore petit
« L’esprit se tut ; partout s’éteignait la lumière,
Et le vent froid des nuits passait sur la bruyère. »

La poésie n’est pas une aventure tranchée
Mais un pas de plus sur le globe cannibale
De la terre ferme et parfois renfermée
Nous vivons tous un jour ou l’autre
Des temps sans horizon dégagé
Des temps mauvais et même abrupts
« La neige tombe, le flot roule !
L’air est glacé, le ciel est noir,
Le vaisseau craque sous la houle,
Et le matin se mêle au soir. »
La fièvre en transit de ce long solo du froid
La mémoire dansée et dansante pour que la vie reste vivante
Les exilés de nulle part l’océan bleu s’inscrivant
Dans la clarté soudaine exagérée
Et le départ enfin le départ vers toi Louise
Ma mie mon attachement mon précipice ma soif
Ma haute faim sans gros appétit
Je n’ai plus au monde que le désir muet
De t’atteindre et de t’étreindre mon cœur
Maintenant je sais que réussir rend meilleur

Pas de panique à bord Louise
Tous les marins sont à quai
Devant toi le don de soi
Devant toi devant les yeux
Le peuple la République « une et indivisible »
Marseille le vieux port et l’Hôtel Oasis
Tes obsèques furent grandioses Louise
Le 9 janvier 1905 vingt ans après Victor
« Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres… »

La neige tombe épaisse des nuées noires
C’est un jour de novembre un temps de solitude
Tu aimais la poésie Louise et les poètes de sept ans
Et tu aimais par-dessus tout la vie toujours vivante
Tu as connu la guerre civile en France
L’exil en Nouvelle-Calédonie
Tu as écrit de nombreux vers
De très nombreuses lettres aussi
Tu étais laide dit-on Louise
Et nous ne sommes pas beaux
D’une lucidité extrême tu savais seulement
Aller au monde tenir debout
La foule les gens le poids de l’existence
Aujourd’hui tout fait peur Louise
Alors comment sortir de l’ombre et paraître
Sur le devant de la scène la place publique

Entrer en poésie dans l’écriture
C’est inscrire son nom Louise
Louise Michel
Dans l’espace et dans le temps
Bientôt réellement
Nous parviendrons à dire nous
Car nous avons L’HISTOIRE à raconter
J’en termine enfin Louise
Car j’ai presque tout dit
J’en termine avec tes mots à toi
Tes mots de rêve de poésie
« Comme le flot frappe la grève
Ou comme au bois souffle le vent,
Aux cœurs aussi chante le rêve,
Plus que la vie il est vivant. »

Mon pays c’est le monde Louise
Et vivre est un poème
Un poème
La neige tombe épaisse des nuées noires
C’est un jour de novembre un temps de solitude…

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Louise Michel (1830-1905) était une institutrice républicaine originaire de la Haute Marne. Elle a participé activement à la Commune de Paris (mars à mai 1871). Elle fut alors condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie comme de nombreux autres communards. Après le décret d'amnistie des Communards en 1880, elle revint en France où elle reprit immédiatement une activité politique. Militante anarchiste, elle fut de nombreuses fois arrêtée, se réfugia à Londres et mourut de pneumonie en 1905.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Envie este Poema

De: Nome: E-mail:
Para: Nome: E-mail:
Sinceros agradecimentos pela preservação da Autoria.